La Serra Gaùcha, des vignes et du vin au Brésil

Publié par Jules LAMON le

Méconnu des français, le vin brésilien a profité de la coupe du monde de football de 2014 pour accéder timidement à la scène internationale. Les vignobles, concentrés dans le sud du pays, à la fois pour des raisons historiques et climatiques, ont opéré une transition vers la qualité. Découverte d’un vignoble en plein essor à la personnalité unique.

En vous rendant à Bento Gonçalves, au coeur de la Serra Gaùcha, berceau viticole du Brésil, oubliez le soleil et les plages de Copa Cabana. C’est probablement sous les trombes d’une pluie intense que vous gravirez la sinueuse RS 470 qui conduit le visiteur au travers des basaltes de cette zone montagneuse. En effet, ici, il pleut un jour sur trois, toute l’année, avec une régularité de métronome. En moyenne, 1600 à 1800 mm de pluie par an, réparties équitablement sur toute l’année, soit presque deux fois plus qu’à Bordeaux, et sans la mer à proximité… Vous parlez d’un paradis !

L’influence italienne
Et pourtant, c’est ici que les immigrés italiens de la fin du XIXéme siècle ont commencé à cultiver la vigne, reproduisant ici les traditions de leurs parents. A partir de 1870, les vignes commencèrent à couvrir de leurs treilles les collines de cette petite région du sud du Brésil. Cet héritage est d’ailleurs encore palpable, à la fois dans les patronymes et la toponymie (Garibaldi, Pizzato, Miolo, Lidio Carraro, Valduga…) mais aussi dans la conduite des vignes en treilles ou hautain (portant le nom portugais de Latadas).

Vignes Latadas

Soutenues par de hauts tuteurs, les vignes forment d’accueillantes tonnelles, invitant à s’arrêter au bord des routes pavées qui serpentent le long des collines de la Vale dos Vinhedos. Peinant à murir à l’ombre des feuilles, les grosses baies bleues de la variété hybride Isabella fournissent encore la majorité de la production de vin de table de la région. Mais le visiteur pourra contempler, autour des grands domaines de l’appellation, des vignes palissées à l’européenne, en cordon de royat ou en guyot. Cette méthode de conduite se généralise pour les cépages qualitatifs internationaux qui remplacent peu à peu la trop généreuse Isabella. Car en effet, depuis les années 70, un vent de modernité souffle sur le vignoble, avec une accélération notable depuis le début du millénaire.

Cordon de Royat

Des vins pétillants et des rouges tanniques
Comme partout dans le monde, la quantité cède le pas à la qualité, et les cépages internationaux (européens) remplacent les hybrides. Le progrès s’observe également dans les chais, où le matériel dernier cri (cuves thermorégulées, pressoirs pneumatiques,…) se généralise. Une appellation d’origine (Denominaçao de Origem) devrait d’ailleurs bientôt couronner les efforts des producteurs, et les meilleurs vins de la région pourront bientôt être étiquetés sous le nom de vinhos do Vale dos Vinhedos (la vallée des vignes).

Les premiers styles de vins de qualité à avoir été produits dans la région furent des pétillants, assemblages de chardonnay, riesling italico (variété du nord de l’Italie) et pinot noir. La relative altitude du vignoble (600-700 mètres) et la difficulté à obtenir de bonnes maturités en raison de l’humidité a en effet favorisé l’émergence de ce type de vins. Ils sont aujourd’hui principalement élaborés selon la méthode Martinoti (méthode de cuve close), bien moins coûteuse que la méthode champenoise. Le leader incontesté, encore aujourd’hui, en terme de qualité, reste la Maison Chandon, filiale du groupe LVMH. Sous la direction d’un oenologue breton (Philippe Mervel), elle élabore des vins pétillants simples et aromatiques, prouvant que la vinification en cuve close peut produire de jolis produits (voir commentaire de dégustation des Courtiers). Aux côtés de cette maison le béhémoth Miolo, avec 12 millions de bouteilles produite par an propose également des pétillants très abordables que l’on peut désormais trouver à Paris à la cave Soif d’ailleurs par exemple. Dans l’ensemble, ces vins sont surtout destinés au marché intérieur, et offre une alternative 3 à 4 fois moins coûteuse au Champagne importé.

Chandon – Martinoti

Bien sûr, à partir des années 80, les cépages internationaux ont commencé à recouvrir le vignoble.  Pourtant ce ne sont pas les cabernets, merlot, syrah et autre cépages mille fois déclinés dans les pays du monde entier qui bluffent le plus l’amateur, mais les cépages plus rares. Car pour concurrencer les vins de leurs voisins chiliens ou argentins, qui bénéficient de climats plus favorables, les vignerons brésiliens doivent expérimenter et innover, afin de chercher de nouveaux terroirs, de nouveaux cépages, de nouvelles méthodes de vinification adaptées aux conditions difficiles de la Vale dos Vinhedos.

Des essais sont ainsi menés avec les cultivars de l’Italie du nord (nebbiolo…), qui bénéficie d’un climat relativement proche, mais également avec les variétés du sud-ouest français, résistantes à la pourriture grise (qui aime le climat chaud et humide) : alicante bouchet, tannat et les petits derniers du pays basque, l’arinarnoa et l’egiodola… Les meilleurs vins goûtés sur place proviennent des domaines les plus petits en comparaison des mastodontes aux millions de bouteilles que sont Miolo, Salton ou les coopératives Garibaldi et Aurora…

Miolo

A la découverte des « boutique wineries » de la Vale dos Vinhedos
Là où l’amateur œnophile doit s’arrêter, par exemple, c’est chez Pizzato ou Lidio Carraro, des “boutique wineries” familiales d’une quarantaine d’hectares. Certes, les récentes réussites de ce dernier (avec Faces, le vin officiel de la Coupe du Monde) l’ont conduit à avoir une activité de négoce en allant chercher du raisin plus au sud, dans les régions moins pluvieuses (Encruzhilada do Sul), mais le domaine conserve une certaine authenticité. Le père Lidio est à la vigne, aidé par son fils Juliano, œnologue. Sa fille, Patricia parcours le monde pour faire connaître le domaine. Au chai, la famille est épaulée par une “flying winemaker” italienne : Monica Rossetti, passant son temps entre le Brésil et le Piémont italien, après s’être formée en France à la biodynamie.

Vale dos Vinhedos

Patricia, dynamique, la trentaine, explique avec passion : “La ligne directrice du domaine est d’éviter le bois, nous n’utilisons pas de barriques et cherchons à favoriser au maximum les levures indigènes, afin de préserver la pureté de l’expression du raisin”. La vigne n’est pas en Bio, car le climat rend difficile voir impossible l’absence de recours aux fongicides de synthèse, mais le désherbage chimique est banni. Les cuvées de bases produites par le domaine sont sympathiques, fruitées et équilibrées, comme par exemple un pinot noir à la belle finesse (voir notes de dégustation des Courtiers jurés). Mais le meilleur réside dans les cuvées Icon, rares, de quelques milliers de bouteilles, provenant des vignes attenantes au domaine : la cuvée Quorum par exemple, assemblage de tannat et des 3 cépages bordelais, sur le millésime 2006 offre une complexité aromatique rare de graphite, cuir et de sous-bois, sur une trame tannique velouté, puissante, mais délicate.

Au domaine Pizzato, plus éloigné de la route principale, que l’on atteint au bout d’une vingtaine de minutes de conduite sur les routes pavées et irrégulières serpentant au coeur de la vallée, on y retrouve la même logique : la recherche de l’authenticité et le travail sur des cépages rares. Les barriques de chêne sont certes bien présentes et marquent de leur empreinte le profil des vins, avec des notes torréfiées, de chocolat ou de mocca typique. Toutefois, elles épousent avec équilibre la richesse tannique des cuvées de tannat, egiodola et alicante bouchet qui semblent trouver un terroir parfaitement adapté à leur rusticité sur les sols volcaniques de la Vale dos Vinhedos.

Plus loin, en remontant vers Bento Gonçalves, au milieu des maisons basses et colorées des paysans de la région, se dresse la Casa Valduga, une réussite familiale à l’américaine, avec demeure de maître inspirée par les châteaux forts d’Hollywood. Ici, on propose une expérience oenotouristique au circuit bien rodé dans les caves en passant par la boutique et le restaurant de la Pousada, le tout accompagné de guides polyglottes. On peut y goûter l’ensemble d’une gamme de vins au style moderne (élevage en barrique, cépages internationaux…), avec néanmoins des cuvées qui sortent des sentiers battus, élaborées à partir de Marselan ou d’Arinarnoa (cf commentaire de dégustation des Courtiers) : le style est constant pour les belles cuvées, avec des tannins bien présents, une bonne acidité et des degré d’alcool maîtrisés.

Casa Valduga

Laurentia, une danseuse prometteuse
Quittons enfin la vallée, et retournons vers Porto Alegre, capitale de la région. Il ne faut pas manquer la visite d’un domaine singulier, la vinicola Laurentia. Perdu dans la nature relativement préservée, autour du Lac Gualba, ce petit vignoble de 30 hectares est le projet un peu fantasque d’un oncologue réputé (Dr. Gilberto Schwartzmann), qui a décidé, en 1996 de bâtir un domaine à partir de rien sur la propriété familiale. C’est au milieu de sa collection de Bromelia que Gilberto, homme à l’infinie courtoisie, dans un français parfait, entre quelques citations d’auteurs classiques, raconte l’histoire du domaine, nommé en l’honneur de sa fille Laura ; ses rêves d’excellence aussi, portés par l’exigence d’uen approche scientifique précise et rigoureuse à la vigne et au chai.

Domaine Laurentia

Evidemment, le domaine cherche encore son style, ce qui est évident au vu de sa jeunesse et de sa place de défricheur de terroir. Des essais son menés sur différentes parcelles, avec différents cépages italiens et français sélectionnés en fonction des analyses de sols. Les vins sont variés : des pétillants élaborés en cuve close (voir dégustation par les courtiers), des rouges et blancs de cépages internationaux, et même une cuvée de méthode traditionnelle avec dégorgement manuel. Petit à petit, le domaine gagne en notoriété, et les premières médailles internationales commencent à récompenser certaines cuvées. Une nuit sur place, dans la maison d’hôte construite sur le modèle d’un cottage anglais, vous reposera de votre périple avant de reprendre la route vers l’aéroport, et de laisser derrière vous la vallée de vins du Brésil.

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